mardi 11 septembre 2012

Dis-moi, Jane Eyre...




Fouler des heures durant, de tes menus pieds, l'immensurable étendue sauvage de la lande écossaise. L'âme noyée dans de crépusculaires et spectrales réminiscences; le cœur suffocant de désirs mais tellement enchaîné par les convenances et les secrets. Le souffle court, haletant, Jane respirais-tu les parfums de l'envahissante bruyère pourrissant sous l'infatigable bruine glacée? Percevais-tu l'odeur minérale humide et froide de la roche noirâtre, comme sépulcrale, sur laquelle résonnait ton pas isolé?
Qui n'a jamais traversé les heures, les mois, les années dans l'attente de la lueur, ne peut saisir le paradoxe des sentiments éprouvés dans le long étirement du temps. Alternance nerveuse d'espoir et de désillusion. Et puis, un jour... 
Jane Eyre, ce jour-là, as-tu pressenti que ton âme sœur était à l'orée de ta vie, quand tu piétinais les feuilles mortes du sous-bois jouxtant Thornfield Hall? Lorsque tu as penché ton visage sur le sien afin de lui offrir ton secours candide, as-tu senti s'exhaler de ses vêtements, l'odeur animale et cuirée de sa monture? Ou peut-être as-tu saisi l'effluve âpre du tabac qui imprégnait sa chemise? Ses cheveux emprisonnaient-ils l'odeur de la terre et des vents amers? As-tu, le ventre meurtri d'émoi, un bref instant, humé la peau vive et palpitante de son cou? Dés lors Jane, as-tu deviné les parfums d'une aube nouvelle?
Si tu étais une fleur Miss Eyre, tu serais, comme beaucoup d'entre nous, une jacinthe des bois. Une parmi des millions d'autres. Humble, petite, fragile, mais "Bluebell" tu as, oui, c'est vrai, un cœur et une âme qui s'élèvent par delà l'ordinaire! Au mois d'avril dernier, je me suis inclinée devant toi et j'ai eu l'audace de te cueillir. Puis je t'ai déposée dans ce vieux livre fidèle, jauni, écorné qui porte ton nom.
A toi, jeune fille! Petite sœur d'âme. Et, surtout à Vous, Charlotte Brontë, dont je bois les mots à longs traits, délices désuets mais ô combien désaltérants.